lundi 6 février 2012

LA JEUNE CAMEROUNAISE CHERCHE SON BLANC DU "MARIAGE",A TOUT PRIX !






Elles recrutent par e-mails ou en gigotant devant des webcams branchées sur l'Occident. Dans un pays gangrené par la pauvreté, ces Camerounaises espèrent «ferrer» un mari et quitter leur pays. Une immigration hasardeuse parfois encouragée par leurs propres parents. Reportage à Yaoundé.
 
 
 

   
Sous le regard du président Biya scotché au mur, elles soulèvent leurs corsages, braquent les seins en direction de la petite caméra reliée à l'ordinateur. Vite fait, en silence, dans la lumière moite des néons. Quand Yvette, l'employée de la cyberboutique, est là, elle aide les novices à se positionner : «Baisse un peu le pantalon pour sortir le string, cambre, voilà ils aiment comme ça.» Des insultes fusent en direction d'un client ­ 18 ans maximum ­ qui se retourne sans cesse, choqué, ou fasciné.

Passé 22 heures, les jeunes clientes de ce cyber situé dans le quartier de l'ambassade de France, à Yaoundé, capitale du Cameroun (1) prennent toutes l'option webcam: le Blanc a une réputation d'obsédé sexuel, il s'agit de le ferrer. «Le Blanc dirige d'abord la conversation vers le sexe. Il demande notre position préférée, si on est bi. Ça nous choque, ce n'est pas notre culture de commenter le sexe», explique Yvette. Une «blonde» (décolorée) ultramoulée demande conseil. Son Blanc doit arriver dans un mois. «Ma petite chérie, lui a-t-il écrit dans son dernier mail, je dois repousser notre rencontre. Sache que ce contretemps me met au désespoir, mais je veux convaincre ma mère du bien-fondé de notre union. Elle a été hospitalisée et je dois la ménager.» Elle croit plutôt qu'il en a trouvé une autre, sur place. «A 63 ans, il a besoin de la permission de sa mère pour se marier ? Ça existe en France ?»

Le mariage avec les Européens est devenu la voie la plus sûre et, pour beaucoup, la seule permettant de sortir du Cameroun, de «progresser» selon l'expression d'une femme soignée qui, sans ménagement, demande à sa fille ­ Rose, 22 ans ­ de se rendre plus «attirante». «Souris, au moins !» Les trois frères de Rose sont diplômés, en droit et en gestion. Ce sont des étudiants «moyens» qui se sont vu refuser leurs demandes de visa étudiant, la France n'acceptant plus que les meilleurs, explique la quinquagénaire, professeure de comptabilité. Et comme la famille n'est liée à aucun gros bonnet du régime, ils n'ont aucune chance de décrocher une bonne place dans l'administration. «Si Rose fait sa vie en Europe, elle évitera à ses frères de devenir vendeurs à la sauvette.»

A 600 francs CFA (1 euro, le prix d'un repas complet en ville) l'heure de connexion poussive, personne n'a de temps à perdre en discussions ni en plaisanteries. Les visages sont tendus contre les écrans. «Mon bb, tu me manques tellement que j'ai envie de prendre le premier avion pour Yaoundé [...]. Sache qu'avec 2000 euros mensuels et la pension alimentaire de mes deux enfants, je ne peux pas subvenir aux besoins de tes enfants, c'est notre contrat mon bb.» Gisèle, plantureuse divorcée de 32 ans, lit d'un oeil détaché la missive. Elle n'a pas d'enfants, elle a fait «trafiquer» à la demande de sa famille les actes de naissance de ses petits frères. Qui seraient peut-être ses cousins. Gisèle a peur de toutes ces histoires qui courent le Net et Yaoundé : beaucoup de «maris» blancs seraient des proxénètes. Beaucoup de femmes, «virées» par leur mari européen, ou ne le supportant pas, intègrent les réseaux de prostitution africaine. Certaines font fortune, d'autres reviennent malades, brisées. Quelques-unes ne rentreront jamais.

«Les sorciers rôdent»

Au fil des rencontres, Gisèle confie sa fatigue. Elle a une histoire avec son chef, qui lui a trouvé son poste. Elle a deux autres «amis» âgés ­ au téléphone elle les appelle papa ­ qui l'aident financièrement, lui font goûter les douceurs d'une vie luxueuse à laquelle elle a pris goût. Mais «il faut toujours être gentille, à la disposition de ces messieurs». Elle gagne correctement sa vie, mais beaucoup de personnes dépendent d'elle, neveux, oncles, tantes, cousins. Gisèle a été mariée deux ans à un Camerounais «important» qui la battait «trop» et la trompait encore plus. Ses parents ne lui ont jamais pardonné le divorce. Elle n'a pas envie d'aller en Europe, mais elle partira : «Je ne sais pas si je saurai ramasser de l'argent. Si je reviens sans rien, mes parents peuvent me tuer.»


C'est une pression constante. «Antoinette, tu es la plus belle de la famille» Et des insultes : «Antoinette tu es une fille égoïste, regarde tes neveux.» Une soeur d'Antoinette est morte du sida, laissant quatre orphelins. Antoinette est amoureuse d'un Camerounais, marié bien sûr, elle s'est retrouvée au chômage parce qu'elle ne veut plus coucher avec ses patrons ni leurs clients. Son père, ancien député et commerçant, vit chez sa deuxième femme avec ses autres enfants. La mère d'Antoinette nourrit ses plus jeunes fils et ses petits-enfants orphelins avec sa retraite de technicienne agricole.


Le conseil de famille a donc décidé qu'Antoinette devait aller «se trouver» en Europe. Elle a 35 ans, a déjà été mariée (à un Italien), personne ne peut l'y obliger, mais les «sorciers rôdent». Elle convie la journaliste chez son père, où l'attendent également des oncles et tantes. Elle les apostrophe : «Autrefois, quand un homme me faisait la cour, je fermais mon coeur et je prenais l'argent, et vous m'aimiez beaucoup. Je vais retourner en Europe parce que je vous aime, mais vous ne croyez pas que je vais acheter le Rav 4 (4x4, ndlr) en faisant des ménages ?» Personne ne répond.


Beaucoup de filles et de femmes se sentent fortes de cette tradition de voyageuses, d'entrepreneuses, de ce goût de la réussite matérielle qui, disent-elles, distingue leur nation des voisins africains. Evelyne a déjà tenté sa chance en France avec un visa de tourisme. Deux fiancés lyonnais, deux échecs. «Ils ne voulaient pas se marier.» Etait-elle amoureuse ? «Tu ne peux pas aimer tant que tu n'as pas les papiers.» Elle s'est fait expulser en 2003, et elle assure qu'elle reviendra, bague au doigt. «Soit l'appétit me viendra en mangeant et je me mettrai à apprécier mon mari. Soit j'attendrai d'avoir un travail, les enfants français et je divorcerai.» Cette jeune femme de 25 ans, catholique pratiquante, est cultivée, jolie, trop mince pour plaire aux hommes de son pays, et elle manque de cette «convivialité» qui attire les «chevaliers blancs» sur la Toile. Faute de mieux, elle est en négociation avec un Lorrain de 57 ans, pas très «fameux» physiquement. Mais il est d'accord pour financer la fin de ses études, et il n'a pas l'air trop exigeant sexuellement, principale crainte des Camerounaises : «Il m'a dit qu'il était "normal", qu'il n'a pas d'appétit exagéré, il a d'abord besoin d'une présence chez lui. Moi, je me dis que deux personnes qui vivent ensemble peuvent s'embrasser, se caresser, et que si ce n'est pas une obsession de faire ça matin, midi et soir, avec des chaînes et tout ça, ça va.»


Le Blanc «non pervers», espèce rare


A Bastos, quartier chic de Yaoundé, le cyber où travaille Philomène a la réputation de posséder les connexions les plus rapides de la zone. L'année passée, elle en a vu six décrocher le mariage, et une le rater de peu, «le futur mari était si fou que même les parents de la fille ont pris peur». La jeune femme arrondit son petit salaire en conseillant, et s'il le faut en rédigeant les mails. Son style est fleuri, elle s'inspire de Guy des Cars, son écrivain préféré. «La première chose à vérifier, c'est qu'il vit bien en Europe et que ce n'est pas un Maghrébin caché sous un Jean-Paul Dubois, explique-t-elle. Ensuite, qu'il est financièrement posé, pas trop de crédits. Et après, sa santé mentale, c'est là où je suis la plus demandée. Beaucoup de Blancs sont pervers, ils veulent des Noires pour assouvir leurs fantasmes, les menottes, la sodomie, les partouzes avec les animaux.»


Les femmes intéressées par le mariage doivent jouer les désintéressées : «Je leur conseille d'exiger, en plus du mariage civil, le mariage religieux au Cameroun. Le style c'est : "Si tu veux m'arracher à ma famille, etc."» Elle a constaté que le Blanc «non pervers», celui qui cherche simplement une femme pour lui tenir compagnie, est plus difficile à ferrer qu'autrefois. «Des Camerounaises se sont mal comportées. Elles ont caché qu'elles avaient des enfants, ont fait passer leur amant pour leur petit frère. Ils se méfient .» Et deviennent de plus en plus «chiches» (avares), plainte générale. «Ma soeur est tombée sur le petit Français étriqué. Il dit que les enfants n'ont pas à entretenir leurs parents. Elle doit lui voler l'argent dans son pantalon pour envoyer 20 euros par semaine», raconte une informaticienne.


La saison sèche est arrivée plus chaude que prévue, jetant sur les routes dès 5 heures du matin une population tirée à quatre épingles : écoliers, paroissiens, ouvriers, vendeurs, étudiants, taxis, businessmen en Range Rover. Le Cameroun est dur pour les paresseux, aiment à répéter ses habitants. Rose, chargée par sa mère de sauver ses frères de la déchéance sociale, quitte sa maison à 4 h 30 pour être à l'université avant 6 h 30, seul moyen d'avoir des places assises. Elle a laissé au cyber une lettre «pour la journaliste blanche» : «Nous, les filles de ce pays, sommes devenues les vaches à lait de nos familles. Mon père, chrétien pratiquant, respecté dans son village, me crie dessus parce que je ne veux pas partir [...]. Quand je demande de l'argent pour aller à l'université, il me dit : "Tu n'as qu'à te débrouiller." C'est-à-dire coucher avec un homme riche qui m'entretienne.» Rose explique aussi l'obsession d'obtenir la photo du fiancé. «Ce n'est pas pour s'assurer qu'il a deux yeux ou deux oreilles. Avec la photo, on file au village et le sorcier lui fait un sort pour qu'il t'aime, t'épouse et soit généreux. Ça marche toujours.» La preuve, ce sont ses cousines, mariées en Belgique trois mois après l'envoi des photos.


La déprime des jeunes Camerounais


Quand elles en ont terminé avec les vieux chéris blancs, les «strip-teaseuses» du cyber de l'ambassade de France rejoignent au bistrot d'en face leurs petits copains camerounais, qui tuent la nuit en descendant des litres de bière. Les après-midi, cette gargote offre un point de vue privilégié sur les trottoirs où patientent en transpirant les couples mixtes convoqués au consulat pour leur mariage. Le spectacle de Français âgés, obèses, handicapés, hébétés, qu'agrippent leurs petites fiancées camerounaises ­ «elles ont peur qu'on leur vole !» ­ suscite mépris et agressivité. Outre les plaies du chômage, de la corruption, de la fermeture des frontières occidentales, les jeunes hommes urbains de la classe moyenne voient leurs fiancées s'envoler en Europe ou leur préférer les Camerounais «lourds» ­ riches.



«Coucher avec un Blanc, ce n'est rien.»


Haman Mana, directeur et fondateur de Mutations, le meilleur quotidien camerounais, ne prend pas de gants pour éviter à sa consoeur blanche un «faux sens ontologique» : lorsqu'une Camerounaise couche avec un Blanc, son mari ne peut pas considérer qu'elle l'a trompé. La morale occidentale n'est d'aucune utilité pour raconter ces histoires de mariages mixtes, nouvelle forme de migration économique qui n'affecterait, à l'en croire, pas plus les Camerounais que les Camerounaises. Celles-ci prendraient mari blanc comme leurs aînés embauchaient chez Peugeot il y a trente ans. L'important, se moque Antoinette, «c'est de rentrer en vacances couverte de Dior et de Chanel».











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