jeudi 19 janvier 2012

FRANCE - AFRIQUE : LE MAITRE ET SON ESCLAVE ?

Michel Lunven, auteur de l'ouvrage «Ambassadeur en Françafrique»
aux Editions Guéna, Paris, décembre 2011.
Editions Guéna
Par Christophe Boisbouvier

« Je ne nie pas (...) les aspects négatifs et particuliers des relations trop personnelles qu’il y a entre les chefs d’Etat français, depuis Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et les chefs d’Etats africains… »

Lire la version écrite de l'interview, ci-dessous.

Un voyage à l’intérieur de la Françafrique... C’est ce que nous propose Michel Lunven dans son livre Ambassadeur en Françafrique, qui vient de paraître aux éditions Guéna. La DGSE et Robert Bourgi y sont égratignés. Aujourd’hui à la retraite, le diplomate français se confie à Christophe Boisbouvier.

RFI : Quand les présidents fraudent pour rester au pouvoir, en général les ambassadeurs ferment les yeux mais vous, c’est le contraire. En 1993 en Centrafrique, vous avez mis la pression sur le président André Kolingba pour qu’il reconnaisse sa défaite. Comment cela s’est-il passé ?

Michel Lunven : J’avais considéré cela comme un challenge pour moi. Au départ, tout le monde m’a dit, vous faites ce que vous pouvez mais vous avez peu de chances de réussir. C’est dans mon caractère, j’ai pris ça comme un challenge d’arriver à des élections libres.

RFI : Il y a eu un bras de fer entre André Kolingba et vous. Et finalement, pour le faire céder, fin août 1993, vous l’avez menacé de lui retirer sa sécurité.

M. L. : Absolument. Le bras de fer était permanent parce que le directeur de cabinet de Kolingba et ses conseillers le poussaient à toujours refuser ce que je lui demandais. Et donc en dernière limite, en accord tout de même avec le quai d’Orsay (on était en période de cohabitation Mitterrand-Balladur), on a décidé de mettre la pression maximale, c’est-à-dire de lui dire que s’il n’annulait pas ses ordonnances, on lui retirait sa garde rapprochée. Simplement, il y avait un ministère qui était un peu réticent. C’était la Défense, à cause de la position de la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure ndlr] qui avait toujours soutenu leur agent, le colonel Mansion qui décidait de l’avenir de la RCA auprès du président Kolingba.

RFI : On voit au Niger comme en Centrafrique que vous avez souvent maille à partir avec la DGSE, c’est-à-dire les services français, qui mènent une politique parallèle. Dans votre livre, vous racontez un échange avec André Kolingba qui vous dit mais pourquoi voulez-vous me faire tomber alors que vous soutenez Eyadema au Togo ?

M. L. : Oui, il m’a dit ça à plusieurs reprises. C’était l’un des arguments de Kolingba et je dois reconnaître qu’il avait une certaine force. Mais je pense que là, peut-être avons-nous perdu l’occasion si on avait eu le même courage parce qu’il y avait les élections à l’époque au Togo, peut-être aurions-nous obtenu que le président Eyadema se retire.

RFI : Vous citez Jacques Foccart [conseiller politique français aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974 ndlr] dans votre livre. Il vous dit : « Eyadema a deux qualités. Il est francophile et il assure la stabilité du Togo ». Est-ce que la vraie raison n’est pas tout simplement parce que Sylvanus Olympio était vu comme trop proche des Anglo-Saxons ?

M. L. : Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il y a toujours une unanimité droite-gauche pour soutenir le président Eyadema, ce que, moi, j’ai toujours regretté parce que ce n’était quand même pas l’un des meilleurs exemples de chefs d’Etat africains.

RFI : Votre livre fourmille de témoignages, d’anecdotes, sur ces trois pays où vous avez été ambassadeur : la Centrafrique, le Niger, le Gabon. Au Gabon justement, vous doutez sérieusement de la régularité des élections, y compris de la dernière, et de la victoire d’Ali Bongo à la présidentielle de 2009. Cette complaisance à l’égard des régimes en place, la France ne risque-t-elle pas un jour de la payer ?

M. L. : On dit que l’élection d’Ali Bongo n’est pas tout à fait juste. Mais moi, je n’ai pas d’opinion là-dessus. Je constate quand même une chose nouvelle au Gabon, c’est que le président Ali Bongo, qu’il ait été bien ou mal élu je n’en sais rien, a changé totalement. C’est un nouveau personnel politique qui est à ses côtés, ce qui est peut-être positif, même si les dernières élections n’ont pas permis l’entrée de beaucoup de membres de l’opposition à l’Assemblée nationale gabonaise.

RFI : Franchement, est-ce que votre expérience en Centrafrique n’est pas une exception dans une histoire où la France a souvent fermé les yeux sur des présidents qui s’accrochaient au pouvoir ?

M. L. : Oui, c’est vrai que dans le livre, je ne nie pas non plus les aspects négatifs et en particulier des relations trop personnelles qu’il y a entre les chefs d’Etat français depuis Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et les chefs d’Etat africains.

RFI : Nicolas Sarkozy poursuit-il cette politique ?

M. L. : Je ne sais pas. Je n’en suis pas sûr. A mon avis, il ne semble pas qu’il ait des relations très poussées et très personnelles avec les chefs d’Etat africains. Par contre, il a peut-être eu le tort de s’entourer de conseillers comme Robert Bourgi qui n’était pas à même de lui fournir des bons conseils.

RFI : Vous croisiez plusieurs fois Robert Bourgi, notamment quand vous êtes ambassadeur au Gabon. Vous ne l’aimez pas. A l’époque, vous en faites part à Dominique de Villepin. Il vous dit : je suis d’accord. Et après, vous vous apercevez qu’il vous raconte des histoires ?

M. L. : Oui, c’est exact (rires). Il était en fait l’un des conseillers occultes du conseiller à l’Elysée de monsieur de Villepin.

RFI : Et ces fameuses valises, vous les avez vues ?

M. L. : Non, absolument pas. Là, je ne suis pas du tout au courant. Cela me paraît tellement gros que je n’y crois pas.

RFI : C’est vrai ? Vous pensez que le témoignage de Robert Bourgi sur ces différentes valises qu’il amène jusqu’au secrétariat de l’Elysée, ça n’a jamais existé ?

M. L. : Pour moi, c’est un roman. C’est simplement Bourgi qui était jaloux du livre que Pierre Péan avait fait paraître sur les mallettes. Il voulait que l’on parle de lui et c’est pour cela qu’il a fait ce clash.

RFI : Avant d’être ambassadeur, vous avez été coopérant. Vous regrettez l’époque où il y avait plusieurs dizaines de milliers de coopérants français en Afrique. Est-ce que ce n’est pas dans l’évolution naturelle des choses, après cinquante ans d’indépendances ?

M. L. : Absolument. Simplement ce que je voulais dire, c’est que si on a eu des relations particulières avec l’Afrique, des relations même amicales, c’est un peu grâce à ces milliers de coopérants répartis dans toute l’Afrique francophone ; parce qu’ils ont fréquenté la société civile. Je crois que cette masse de coopérants a été un peu le ferment de cette relation amicale avec l’Afrique.

Ceci étant dit, les choses ont évolué maintenant. Vous savez, l’indépendance, on croit toujours que c’est 1960. Pour moi, les Africains ne se sont vraiment sentis indépendants qu’après la chute du mur de Berlin parce que c’est là qu’il y a eu une prise de conscience. Moi, j’étais au Niger à ce moment-là. Les Africains ont pris conscience que c’était à eux à prendre en mains leur développement. Et je pense que c’est à partir de ce moment-là qu’on se devait d’écouter ce qu’ils voulaient, ce qu’ils disaient, et ne plus intervenir directement comme on le faisait auparavant.


tags : Diplomatie - Sommet Afrique-France

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