Michel Lunven, auteur de l'ouvrage «Ambassadeur en Françafrique»
aux Editions Guéna, Paris, décembre 2011.
Editions Guéna
Par Christophe Boisbouvier
« Je ne nie pas (...) les aspects négatifs et particuliers des
relations trop personnelles qu’il y a entre les chefs d’Etat français,
depuis Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et les chefs d’Etats
africains… »
Lire la version écrite de l'interview, ci-dessous.
Un voyage à l’intérieur de la Françafrique... C’est ce que nous propose
Michel Lunven dans son livre Ambassadeur en Françafrique, qui vient de
paraître aux éditions Guéna. La DGSE et Robert Bourgi y sont égratignés.
Aujourd’hui à la retraite, le diplomate français se confie à Christophe
Boisbouvier.
RFI : Quand les présidents fraudent pour rester
au pouvoir, en général les ambassadeurs ferment les yeux mais vous,
c’est le contraire. En 1993 en Centrafrique, vous avez mis la pression
sur le président André Kolingba pour qu’il reconnaisse sa défaite.
Comment cela s’est-il passé ?
Michel Lunven : J’avais considéré
cela comme un challenge pour moi. Au départ, tout le monde m’a dit,
vous faites ce que vous pouvez mais vous avez peu de chances de réussir.
C’est dans mon caractère, j’ai pris ça comme un challenge d’arriver à
des élections libres.
RFI : Il y a eu un bras de fer entre
André Kolingba et vous. Et finalement, pour le faire céder, fin août
1993, vous l’avez menacé de lui retirer sa sécurité.
M. L. :
Absolument. Le bras de fer était permanent parce que le directeur de
cabinet de Kolingba et ses conseillers le poussaient à toujours refuser
ce que je lui demandais. Et donc en dernière limite, en accord tout de
même avec le quai d’Orsay (on était en période de cohabitation
Mitterrand-Balladur), on a décidé de mettre la pression maximale,
c’est-à-dire de lui dire que s’il n’annulait pas ses ordonnances, on lui
retirait sa garde rapprochée. Simplement, il y avait un ministère qui
était un peu réticent. C’était la Défense, à cause de la position de la
DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure ndlr] qui avait
toujours soutenu leur agent, le colonel Mansion qui décidait de l’avenir
de la RCA auprès du président Kolingba.
RFI : On voit au Niger
comme en Centrafrique que vous avez souvent maille à partir avec la
DGSE, c’est-à-dire les services français, qui mènent une politique
parallèle. Dans votre livre, vous racontez un échange avec André
Kolingba qui vous dit mais pourquoi voulez-vous me faire tomber alors
que vous soutenez Eyadema au Togo ?
M. L. : Oui, il m’a dit ça à
plusieurs reprises. C’était l’un des arguments de Kolingba et je dois
reconnaître qu’il avait une certaine force. Mais je pense que là,
peut-être avons-nous perdu l’occasion si on avait eu le même courage
parce qu’il y avait les élections à l’époque au Togo, peut-être
aurions-nous obtenu que le président Eyadema se retire.
RFI :
Vous citez Jacques Foccart [conseiller politique français aux affaires
africaines et malgaches de 1960 à 1974 ndlr] dans votre livre. Il vous
dit : « Eyadema a deux qualités. Il est francophile et il assure la
stabilité du Togo ». Est-ce que la vraie raison n’est pas tout
simplement parce que Sylvanus Olympio était vu comme trop proche des
Anglo-Saxons ?
M. L. : Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est
qu’il y a toujours une unanimité droite-gauche pour soutenir le
président Eyadema, ce que, moi, j’ai toujours regretté parce que ce
n’était quand même pas l’un des meilleurs exemples de chefs d’Etat
africains.
RFI : Votre livre fourmille de témoignages,
d’anecdotes, sur ces trois pays où vous avez été ambassadeur : la
Centrafrique, le Niger, le Gabon. Au Gabon justement, vous doutez
sérieusement de la régularité des élections, y compris de la dernière,
et de la victoire d’Ali Bongo à la présidentielle de 2009. Cette
complaisance à l’égard des régimes en place, la France ne risque-t-elle
pas un jour de la payer ?
M. L. : On dit que l’élection d’Ali
Bongo n’est pas tout à fait juste. Mais moi, je n’ai pas d’opinion
là-dessus. Je constate quand même une chose nouvelle au Gabon, c’est que
le président Ali Bongo, qu’il ait été bien ou mal élu je n’en sais
rien, a changé totalement. C’est un nouveau personnel politique qui est à
ses côtés, ce qui est peut-être positif, même si les dernières
élections n’ont pas permis l’entrée de beaucoup de membres de
l’opposition à l’Assemblée nationale gabonaise.
RFI :
Franchement, est-ce que votre expérience en Centrafrique n’est pas une
exception dans une histoire où la France a souvent fermé les yeux sur
des présidents qui s’accrochaient au pouvoir ?
M. L. : Oui,
c’est vrai que dans le livre, je ne nie pas non plus les aspects
négatifs et en particulier des relations trop personnelles qu’il y a
entre les chefs d’Etat français depuis Valéry Giscard d'Estaing,
François Mitterrand, Jacques Chirac et les chefs d’Etat africains.
RFI : Nicolas Sarkozy poursuit-il cette politique ?
M. L. : Je ne sais pas. Je n’en suis pas sûr. A mon avis, il ne semble
pas qu’il ait des relations très poussées et très personnelles avec les
chefs d’Etat africains. Par contre, il a peut-être eu le tort de
s’entourer de conseillers comme Robert Bourgi qui n’était pas à même de
lui fournir des bons conseils.
RFI : Vous croisiez plusieurs
fois Robert Bourgi, notamment quand vous êtes ambassadeur au Gabon. Vous
ne l’aimez pas. A l’époque, vous en faites part à Dominique de
Villepin. Il vous dit : je suis d’accord. Et après, vous vous apercevez
qu’il vous raconte des histoires ?
M. L. : Oui, c’est exact
(rires). Il était en fait l’un des conseillers occultes du conseiller à
l’Elysée de monsieur de Villepin.
RFI : Et ces fameuses valises, vous les avez vues ?
M. L. : Non, absolument pas. Là, je ne suis pas du tout au courant. Cela me paraît tellement gros que je n’y crois pas.
RFI : C’est vrai ? Vous pensez que le témoignage de Robert Bourgi sur
ces différentes valises qu’il amène jusqu’au secrétariat de l’Elysée, ça
n’a jamais existé ?
M. L. : Pour moi, c’est un roman. C’est
simplement Bourgi qui était jaloux du livre que Pierre Péan avait fait
paraître sur les mallettes. Il voulait que l’on parle de lui et c’est
pour cela qu’il a fait ce clash.
RFI : Avant d’être
ambassadeur, vous avez été coopérant. Vous regrettez l’époque où il y
avait plusieurs dizaines de milliers de coopérants français en Afrique.
Est-ce que ce n’est pas dans l’évolution naturelle des choses, après
cinquante ans d’indépendances ?
M. L. : Absolument. Simplement
ce que je voulais dire, c’est que si on a eu des relations particulières
avec l’Afrique, des relations même amicales, c’est un peu grâce à ces
milliers de coopérants répartis dans toute l’Afrique francophone ; parce
qu’ils ont fréquenté la société civile. Je crois que cette masse de
coopérants a été un peu le ferment de cette relation amicale avec
l’Afrique.
Ceci étant dit, les choses ont évolué maintenant.
Vous savez, l’indépendance, on croit toujours que c’est 1960. Pour moi,
les Africains ne se sont vraiment sentis indépendants qu’après la chute
du mur de Berlin parce que c’est là qu’il y a eu une prise de
conscience. Moi, j’étais au Niger à ce moment-là. Les Africains ont pris
conscience que c’était à eux à prendre en mains leur développement. Et
je pense que c’est à partir de ce moment-là qu’on se devait d’écouter ce
qu’ils voulaient, ce qu’ils disaient, et ne plus intervenir directement
comme on le faisait auparavant.
tags : Diplomatie - Sommet Afrique-France
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